15 juin 2020
« Le plus important est la santé physique et psychique des enfants et de leurs parents »
L’école publique élémentaire Picol est située dans le district de San Jeronimo au sud-est de l’agglomération de Cusco, en zone d’altitude péri-urbaine, au pied du mont Picol. Au début de l’année scolaire, en mars, 134 enfants entre six et douze ans ont été inscrits à l’école de Picol. Mais la rentrée des classes n’a jamais eu lieu, le confinement ayant été décrété le jour précédent.
L’épidémie de Covid vient renforcer l’exclusion sociale et culturelle des familles issues de migrations rurales
Une grande majorité des parents d’élèves de l’école de Picol sont issus des migrations rurales et ont pour langue maternelle le quechua. La plupart des enfants vivent dans les districts de San Jeronimo et San Sebastian et quelques-uns dans des districts plus éloignés comme celui de Saylla. Peu d’enfants habitent près de l’école. Ils s’y rendent à pied et en bus, certains doivent emprunter deux bus pour rejoindre l’école.
D’origine socio-économique très précaire, beaucoup parmi les parents n’ont pas terminé l’école primaire et certains n’ont même jamais été scolarisés, ne savent ni lire ni écrire, ne s’expriment pas couramment en Castillan et n’ont aucune qualification technique ou professionnelle. Il leur est alors très difficile de trouver un travail légal et stable. Ils vivent de vente ambulante, de ménages, de travaux de maçonnerie et quelques-uns possèdent des champs et les cultivent. Leurs logements sont très rudimentaires, beaucoup de familles s’entassent dans une seule pièce. Depuis le début du confinement, les parents se retrouvent sans travail et sans moyens de subsistance.
Il existe au Pérou un important phénomène d’exode rural vers les villes parce que les zones rurales sont très pauvres. Mais ceux qui migrent vers la ville ne parviennent difficilement à s’en sortir et restent vulnérables et en marge. Les élèves de Picol présentent de gros retard d’apprentissage dans toutes les matières et l’épidémie de Covid vient renforcer les inégalités sociales et culturelles, la plupart des foyers n’ayant pas accès aux réseaux et équipements numériques et n’étant pas initiés à l‘informatique. Certains n’ont ni la radio, ni la télévision.
« J’apprends à la maison », programme éducatif national diffusé à la télévision mais peu accessible aux écoliers de Picol
Après un premier état de sidération et une période fortement anxiogène pour tout le monde, les enseignants de l’école élémentaire de Picol ont commencé par rechercher et localiser les enfants de leurs classes. Presque la moitié des familles (45%) ont regagné leur communauté natale en milieu rural afin d’avoir tout simplement de quoi manger. 20% des familles ne donnent que très rarement des nouvelles et les enseignants restent sans aucune nouvelles d’un enfant sur huit.
D’après les estimations de l’équipe éducative, 85% des enfants suivent le programme de la plateforme éducative « Aprendo en casa » (« j’apprends à la maison ») diffusé à la télévision et proposé par le ministère de l’éducation. Mais les enfants ont des difficultés à suivre le programme national : beaucoup signalent que l’animateur parle vite, avec des mots qu’ils ne comprennent pas. Et c’est la même chose avec les programmes à la radio.
Malheureusement, ils n’ont pas accès aux programmes de la plateforme virtuelle sur le web – il y a des textes, des vidéos, des sessions complètes – mais ils n’ont pas de tablette, encore moins d’ordinateur.
Les enseignants réalisent suivi et appui pédagogiques auprès des élèves de leur classe. 70 % des enfants profitent de cet accompagnement qui consiste en appels téléphoniques le plus souvent et plus rarement en échanges WhatsApp, une majorité des familles disposant d’abonnement téléphonique qui leur permet exclusivement de recevoir des appels et les enseignants eux-mêmes confinés se déplacent rarement.
La nécessité immédiate pour les enfants est l’alimentation
Les résultats de l’enquête menée par l’équipe pédagogique pointent que la quasi-totalité des foyers affrontent des difficultés économiques et 90% d’entre eux n’ont pas aujourd’hui les moyens de se nourrir correctement.
Assez rapidement les enseignants ont distribué aux familles les aliments du programme alimentaire scolaire, destinés à la cantine, avec l’autorisation préalable des autorités, ainsi que des vêtements à certains enfants et du matériel scolaire pour qu’ils puissent travailler. Aujourd’hui, l’équipe enseignante s’organise pour remettre à chaque famille un panier composé d’aliments de base : lait, quinoa, lentilles, thon, haricots, farine, huile.
Pour Yovana Elida Rosell, directrice de l’école de Picol «la nécessité immédiate pour les enfants est l’alimentation. L’autre nécessité, importante mais non primordiale serait de pouvoir compter sur un outil technologique de base pour accéder à l’information et aux activités leur permettant de développer les apprentissages. Mais le plus important est la santé physique et psychique des enfants et de leurs parents. Nous tentons de les rassurer lorsqu’ils nous confient leur peur de perdre une année scolaire, de ne rien apprendre, de voir leurs lacunes se creuser. »
Yovana constate avec optimisme que les enfants des communautés rurales développent d’autres apprentissages transmis par les travaux des parents et grands-parents comme la culture et la récolte des produits de la terre, l’élevage, et d’autres formes de savoirs qui, d’une certaine façon, réaffirment leur identité culturelle.